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    Interview de Mme Mama Keita directrice du Bureau Sous-régional pour l’Afrique de l’Est de la Commission Economique pour l’Afrique (CEA)
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    En marge des travaux de la 53e session de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) de la Conférence des ministres africains des finances, de la planification et du développement économique, qui se tient du 17 au 23 mars 2021, en mode hybride, à Addis Abeba et par webinaire Mme Mama Keita directrice du Bureau Sous-régional pour l’Afrique de l’Est de la Commission Economique pour l’Afrique (CEA) a bien voulu répondre à nos questions.

    Merci de vous présenter à nos lecteurs.

    Mama Keita(M.K) : Je Suis Mama Keita, directrice du Bureau Sous-régional pour l’Afrique de l’Est, de la Commission Economique des nations unies pour l’Afrique (CEA).@mamakeita_mama

    Quels sont les problèmes auxquels fait face l’industrialisation de l’Afrique en général et l’Afrique de l’Est en particulier ?

    M.K : La plupart des pays africains ont des économies fortement dépendantes de l’exportation d’un nombre limité de matières premières non transformées, et donc a très faible valeur ajoutée. Ces matières premières comprennent entre autres le pétrole, les produits agricoles comme le café, le cacao, le thé et le café ; des produits miniers comme l’or, le diamant, le fer, le zinc, le cobalt, la bauxite, et des produits pétroliers ; etc. Ces produits constituent les principales sources de croissance, et lorsqu’ils sont frappés par des chocs externes tels que les aléas climatiques, les variations des prix et de la demande sur les marchés internationaux, les crises sanitaires du genre de la pandémie de la COVID, les pays se retrouvent face à un ralentissement de la croissance, voire une récession. Ceci met en lumière la vulnérabilité des économies africaines et souligne la nécessité de diversifier les économies afin de les rendre plus résilientes aux chocs. Pour ce faire, il apparait impérieux de promouvoir l’industrialisation, a travers la transformation locale des abondantes matières premières, en vue de favoriser plus de valeur ajoutée, et partant, des niveaux de croissance économique beaucoup plus élevés et soutenus. L’industrialisation est également nécessaire pour la création d’emplois plus productifs et mieux rémunérés, pour un mieux-être des populations.

    L’industrialisation toutefois requiert des capacités productives importantes, de même qu’un environnement des affaires favorable, en vue d’attirer des investissements directs étrangers pour compléter les ressources internes. L’industrialisation demande notamment la disponibilité d’une énergie a prix abordable et peu polluante, en vue d’éviter d’aggraver les effets du changement climatique, qui déjà affectent le continent de manière visible. En 2019, les Ouragans Kenneth et Idai ont fait des ravages en Afrique Australe. Le Mozambique a enregistré une destruction massive d’infrastructures, se chiffrant à de plus de 2 milliards de dollars, et les pertes ont correspondu a plus de 2 points de pourcentage du PIB. Le changement climatique est réel, l’Afrique doit le prendre en compte dans sa stratégie d’industrialisation, c’est pour cette raison que la conférence des ministres des Finances organisée par la CEA a choisi cette année pour thème, l’Industrialisation verte, durable. Un autre argument en faveur d’une industrialisation verte repose sur le fait que les pays étrangers qui aujourd’hui achètent les produits pétroliers venant d’Afrique, sont eux aussi en train d’ajuster leurs stratégies d’industrialisations. Conformément aux termes des accords de Paris, ils sont en train de chercher à réduire leurs consommations d’Energie fossile au profit d’Energie moins polluantes. En prévision de cela, il est impératif que les pays africains exportateurs de ces sources d’énergie fossile se préparent à une baisse importante de la demande dans ces produits qui représentent leurs sources principales de croissance. Ils doivent rapidement diversifier leurs économies ; Ils doivent promouvoir une industrialisation verte, durable.

    Quel est l’état réel du secteur privé et quel le rôle doit-il jouer pour le développement de l’industrie ?

    M.K : Le secteur privé est au sein de l’économie, l’acteur qui assure la production, génère la croissance et crée les emplois. Pour promouvoir l’industrialisation de l’Afrique le secteur privé africain doit essayer de ne pas se contenter de la commercialisation des produits à faible valeur ajoutée. Il doit s’investir dans plus de transformation et d’ajout de valeur. Mais il doit faire cela en utilisant des processus de production respectueux des équilibres environnementaux, en utilisant des énergies relativement peu polluantes, en vue de ne pas aggraver le changement climatique et ses effets néfastes sur le continent. Le secteur privé à lui tout seul ne peut parvenir a cela, il faut un engagement de l’Etat pour de tels objectifs.

    Quel rôle joue la CEA pour aider les différents pays à s’orienter vers une industrie durable ? Existe-t-il une approche innovante dans ce cadre ?

    M.K :La CEA accompagne les Etats a mettre en place des stratégies politiques et réformes socioéconomiques favorables au développement durable, la mise en place de cadres juridiques et réglementaires appropriés ; elle fait cela à travers la recherche, la publication et la dissémination de travaux de recherches ; l’organisation de dialogues de hauts niveaux ; de l’assistance technique et des services conseils aux états ; du renforcement des capacités des acteurs étatiques et non étatiques a travers des formations et des séminaires offerts notamment par l’IDEP, et bien d’autres initiatives.

    Les Etats africains ont besoin d’énormément de ressources pour pouvoir adopter des techniques de productions adaptées a une industrialisation durable. La CEA met un accent particulier sur la question du développement du secteur prive et de la mobilisation de financement pour le développement.

    De manière concrète, depuis l’avènement de la crise de la COVID la CEA s’attèle à aider les pays africains à accéder a des ressources financières a faible cout pour faire face aux besoins de la crise (sante, vaccins, soutien aux entreprises et aux ménages vulnérables, etc), mais aussi pour préparer la relance. Une relance qui met les pays sur un sentier de développement durable. Aux cotes d’autres partenaires, la CEA a notamment plaidé en faveur d’efforts d’allègement de la dette qui ont abouti à la mise en place par le G20 de l’initiative de suspension du service de la dette, et la mise en place du cadre de soutenabilité de la dette. Sous le leadership engagé de notre Secrétaire Exécutive Mme Vera Songwe, la CEA est aussi de manière active en train de lancer un plaidoyer pour la mise à disposition des Etats africains, de Droits de tirages Spéciaux en vue d’atténuer leurs contraintes de liquidité et de relancer leurs économies. Elle travaille également à la création d’un Fonds Commun de Créance (SpecialPurposevehicle en anglais) qui viserait à réduire de manière considérable le cout d’emprunt auquel les pays africains font face sur les marchés internationaux.

    Comment les pays africains pourront-ils financer le développement de leurs industries face au poids de la dette conjugué avec la crise sanitaire du Covid 19 ? Quelles sont les perspectives à court, moyen et long terme ?

    M.K :C’est vrai que la question du financement du développement est une question cruciale, et la crise de la COVID a aggravé les choses. La première source de financement a la disposition des Etats est bien entendu la mobilisation des ressources internes. Avec une bonne utilisation du numérique, de nombreux pays dont le Rwanda, le Kenya, l’Afrique du SUD, ont déjà réussi à améliorer les capacités et l’efficacité de leurs administrations fiscales, ce qui a permis d’accroitre de manière significative leur pression fiscale. La CEA préconise la numérisation des administrations fiscales comme option au financement du développement. L’amélioration de la gouvernance économique est également impérative afin d’optimiser l’utilisation des ressources collectées et l’efficacité de la dépense publique. Il y a également une bonne gestion de la dette de sorte à permettre aux pays de continuer à pouvoir emprunter sur les marchés de capitaux étrangers.

    Les flux financiers illicites, qui comme on le sait, font perdre au moins 50 Milliards de dollars au continent chaque année, doivent être contenus. En plus de ceci, les pays doivent s’atteler à mettre en place un environnement des affaires propice qui permet d’attirer les investisseurs étrangers.

    Les Etats africains devraient également investir dans l’élargissement des marchés financiers africains afin de donner plus d’options de financement et d’investissement aux états et aux entreprises du continent. Il y a également des sources de financement plus innovants tels que la mise a contribution des fonds de pension, des fonds d’investissements prives ; l’émission d’obligations vertes et bleues, etc.

    De plus en plus d’Etats africains ont levé des fonds récemment sur les marchés financiers internationaux, notamment la cote d’ivoire et le Benin. Le cout du crédit demeure toutefois considérablement élevé par rapport aux taux auxquels les économies avancées et émergentes empruntent. La CEA travaille à aider les états africains à réduire le cout du crédit.

    Quelle place devrait jouer l’appropriation des nouvelles technologies dans l’essor industriel du continent?

    M.K : Le développement technologique et l’innovation sont des déterminants fondamentaux de la productivité des entreprises. Elles permettent aux entreprises de produire de manière plus efficace et moins onéreuse, et donc d’être plus productives et plus compétitives. Et cela est primordial pour se garantir des parts de marché, et continuer de produire et d’exister. Le développement technologique devrait être au centre de la stratégie de développement industriel du continent. En ce qui concerne les entreprises, elles devront exploiter le potentiel de l’Intelligence artificielle, la robotique et l’automation, l’impression en 3 dimensions, les blockchains pour optimiser leur productivité et compétitivité. Les états devront à leur niveau améliorer la qualité des services publiques en misant sur le numérique ; l’adoption d’une politique d’identité numérique a attribuer a chaque citoyen pourrait également aider l’état a lutter contre l’économie informelle et a accroitre la contribution du secteur informel aux recettes publiques et la croissance économique. Aussi en mettant en place des politiques et cadres règlementaires adéquats, l’Etat peut favoriser l’essor de services à base de numériques dans les domaines de l’agriculture, la sante, l’éducation, les finances, le commerce etc, qui vont venir élargir le secteur tertiaire et contribuer à la diversification économique, et un accroissement direct et indirect du PIB.

    Propos recueillis par Bakari Guèye

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