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    Entrée en vigueur de la ZLECAF, coup de projecteur sur la Mauritanie/Par Isselmou Ould Mohamed Ould Taleb
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    M. Isselmou Ould Mohamed Ould Taleb est économiste et ingénieur statisticien-économiste. Il a soutenu un troisième cycle sur l’économie minière mauritanienne. Il a été membre du gouvernement (1986-1988) et a occupé plusieurs fonctions dans le secteur public comme dans le privé. Il est consultant indépendant depuis plus d’une décennie dans les domaines de la conception des stratégies et de l’évaluation des politiques, programmes et projets de développement. Il est l’auteur de la stratégie nationale mauritanienne de la ZLECAf dont est tiré le présent article.

    La stratégie mauritanienne : opportunités et défis

    Selon la CEA, « la stratégie globale de développement du continent africain repose sur l’intégration régionale, telle qu’adoptée et poursuivie par le Sommet de l’Union africaine. En 1991, les chefs d’État et de gouvernement africains ont signé le Traité instituant la Communauté économique africaine (Traité d’Abuja), définissant les principes directeurs et les objectifs, ainsi que le cadre régional visant à renforcer le programme d’intégration ». Au cours des dernières décennies, l’intégration régionale s’est imposée et le monde est devenu un large espace de circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux. Pourtant, le commerce intracontinental africain, ne représente qu’environ 16 pour cent du total des échanges de l’Afrique, contre environ 55 pour cent pour l’Asie et plus de 70 pour cent pour l’Europe1 . La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) ambitionne de créer un espace commun d’échanges qui constituera l’une des pierres angulaires de l’agenda 2063 de l’Union africaine (UA). Cette initiative devra mettre en place un marché commun avec un produit intérieur brut (PIB) qui dépasse les 2500 milliards de dollars et une population de 1,2 milliards d’habitants. (Revue du Contrôle de la Comptabilité et de l’Audit, numéro 6, Septembre 2018 Hosting by COPERNICUS & IMIST : Voir

    https://www.uneca.org/sites/default/files/PublicationFiles/qa_cfta_fr_240418.pdf. )

    Il est attendu de la ZLECAf un renforcement des économies d’échelle et des chaînes de valeurs africaines, une libéralisation progressive et partant, une amélioration du rôle de l’Afrique sur la scène internationale. En outre, l’amélioration des moyens de transport, des réseaux de télécommunications et des droits à l’information va encourager entreprises, incluant les petites et moyennes entreprises (PME), à exporter vers un marché potentiellement plu élargi. Le développement à moyen terme du commerce entre les pays d’Afrique dans le cadre de la ZLECA pourra faire de la Mauritanie un point de passage du transport transit intra régional de marchandises. Dès lors, il est possible pour le pays de tirer avantage de cette position stratégique plutôt que d’être un obstacle à contourner. Auparavant, il sera nécessaire d’entreprendre de réformes au niveau de chaque pays. Ces réformes et les mesures qui doivent les accompagner ont des coûts. En effet, pour couvrir le commerce des marchandises et des services, il faudra adopter des politiques d’investissement, de la concurrence et de défense des droits de la propriété intellectuelle. Ces politiques constituent des préalables à la transformation structurelle inclusive des économies africaines, et contribuer à la concrétisation de l’Agenda 2063 de l’Afrique et du Programme de développement durable à l’horizon 2030. L’intégration des économies africaines se pose donc en des termes à la fois complexes et contraignants. Quels enjeux et perspectives pour la Mauritanie ? Elle devra assurément repenser l’exportation des matières premières à l’état brut afin de favoriser, dans la mesure du possible, l’ajout de valeur aux produits locaux et préserver le maximum d’emplois. La structure des exportations n’a pas connu d’évolution majeure depuis plusieurs décennies, et reste dominée par les produits primaires (fer, or, cuivre, poissons, hydrocarbures bruts). Les secteurs non échangeables (Banque, Assurances, BTP, Hôtellerie) sont pour l’essentiel structurés autour de groupes familiaux, davantage portés sur la recherche de rentes à court terme et l’optimisation de réseaux d’influence. Les exportations sont dominées par le secteur extractif qui a représenté 61,4% du total des recettes en 2017 contre 80% en moyenne entre 2013 et 2014. Plus des deux tiers des exportations de minerai de fer sont destinés au marché chinois. Pour l’année 2017, la répartition des ventes de la Société Mauritanienne de Commercialisation du Poisson (SMCP) par destination montre que 58% se font vers l’Europe, 38% vers l’Asie et seulement 4% vers l’Afrique (Source : BCM 2017). Les principaux fournisseurs demeurent l’Europe (48,8%), l’Asie (Chine, Japon avec 21,4%), les Emirats Arabes Unies (18%). La part de l’Afrique a été de 8,3%, répartie entre le Maroc, le Sénégal, l’Egypte, la Côte d’Ivoire, le Mali et la Tunisie (ONS, 2018). Pour l’ensemble des pays membres de la CEDEAO, les données disponibles3 montrent que la part des échanges de la Mauritanie avec les pays de cette région ne dépasse pas 3 %. Il découle de ce qui précède l’existence d’un grand potentiel mais son exploitation implique des conditions pour que la Mauritanie puisse réduire les effets négatifs de l’Accord et créer un environnement favorable pour sa compétitivité économique et partant, tirer le plus grand profit possible des opportunités qu’offre le nouveau contexte. La Mauritanie fait face à des défis majeurs à relever : i) un faible tissu industriel ; ii) un niveau de technicité et de spécialisation des activités dans un contexte d’inadaptation des compétences locales ; (Evaluation de l’impact, Ministère du commerce, 2019) iii) une méconnaissance des normes Qualité, Hygiène, Sécurité, Environnement (QHSE) ; iv) des insuffisances en matière d’infrastructures et/ou mesures d’accompagnement et vi) une insuffisance en matière de formation dans certains métiers spécialisés, notamment les professions intermédiaires. Il en résulte une part réduite des entreprises locales dans l’approvisionnement des compagnies étrangères (mines, hydrocarbures) en biens d’équipements et en services divers. En matière d’emploi, les proportions sont quantitativement élevées4 mais il s’agit d’emplois peu qualifiés, au bas de l’échelle avec une part de masse salariale nettement moins conséquente5 . Un effort doit donc être consenti pour réduire le recours à la main d’œuvre étrangère plus coûteuse. La qualité et l’accès aux services devront être améliorés, en particulier ceux de l’électricité et de l’eau indispensables pour le développement de l’industrie manufacturière. En dépit des efforts déployés, la Mauritanie n’est pas encore arrivée à attirer suffisamment d’investissements pour développer une industrie manufacturière performante, et pouvoir ainsi tirer profit des opportunités qu’offre la ZLECAf. Il est donc nécessaire de combler les déficits de compétences au niveau institutionnel et politique pour dynamiser les secteurs prioritaires. Une attention particulière devra être accordée aux retards de la Mauritanie au niveau des principales rubriques du Doing Bisness, notamment là où les classements sont mauvais et/ou les progrès sont trop lents. Des efforts ciblés doivent être déployés pour le développement des compétences, le financement des petites entreprises locales, notamment celles qui sont dirigées par les femmes et le développement des infrastructures. L’Etat devra jouer un rôle de premier plan dans la facilitation, la coordination et si nécessaire, il aura à participer (directement ou indirectement) à la chaîne d’approvisionnement. Une plus grande adhésion aux référentiels internationaux, notamment ceux qui sont déjà en vigueur dans l’espace CEDEAO et dans les pays du Maghreb ayant un bon potentiel d’exportation sur le marché régional est une priorité. La participation de la Mauritanie à la Convention de Genève (Harmonisation des contrôles des marchandises aux frontières), à la Convention TIR (transport international Routier) et à la Convention ADR (transport international de marchandises dangereuses par route) favoriserait la naissance d’une industrie des services de portée régionale et pourrait constituer un levier de modernisation des administrations et des entreprises privées. En matière de politique industrielle, les interventions préconisées dans le cadre de la SCAPP 2016-2030 vont dans le bon sens mais à condition de lever les nombreuses contraintes, notamment l’accès limité aux financements productifs, la suppression des exemptions et autres régimes ad hoc dont bénéficient certains importateurs, avec de multiples effets de distorsion sur le marché, les coûts élevés des facteurs, la faiblesse des structures d’appui (zones ou domaines industriels, recherche technologique, outils de normalisation entre autres). Le défi à relever consiste donc à promouvoir le secteur privé aujourd’hui dominé par l’informalité et un environnement qui ne favorise pas la concurrence ni l’accès au crédit. (Autour de 90% .On estime que les commandes locales représentent environ 30% de l’ensemble des approvisionnements des compagnies minières (GIZ, étude sur le contenu local minier, 2019).

    L’initiative « Produire en Mauritanie », préconisée par la SCAPP vise à: (i) diversifier l’économie mauritanienne par la création de l’entreprise ;(ii) accroître la part de valeur ajoutée des produits mauritaniens ; (iii) promouvoir le ‘made in Mauritanie’ ; (iv) favoriser l’installation des entreprises étrangères et l’IDE ; (iv) soutenir l’ouverture des marchés internationaux au produits mauritaniens ; et (v) créer des opportunités d’emploi, notamment pour les jeunes diplômés (SCAPP 2016-2030). L’optimisation des recettes provenant de l’exploitation des ressources naturelles (mines, poissons, gaz) devra permettre de réaliser des investissements dans d’autres secteurs vitaux (infrastructures, éducation, santé, protection sociale). La stratégie nationale de mise en œuvre de l’Accord ZLECA devra répondre de manière adéquate aux préoccupations des groupes marginalisés, améliorer les relations de genre, et sauvegarder l’environnement naturel. Les partenaires devront fournir une assistance technique dans le cadre de la mise en œuvre des mesures nécessaires prévues par l’Accord.

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