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    Le système bancaire mauritanien/Par le Dr  Abdellahi Mohamed Awah
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    Le système bancaire mauritanien a été marqué ces dernières années par une prolifération sans précédant avec la délivrance de plusieurs agréments de la part du Conseil de Politique Monétaire (CPM) de la Banque Centrale de Mauritanie (BCM). On compte aujourd’hui près d’une vingtaine d’institutions bancaires. Une vingtaine de banques pour un marché faiblement bancarisé.

    Le système bancaire mauritanien est largement inspiré du système français mais il a ses propres spécificités. Son rôle dans le développement du pays est incontestable.

    Certaines banques créées récemment n’ont pas fait long feu, ce qui a jeté un discrédit sur toute la filière, ce qui soulève des interrogations au sujet de la compatibilité du système bancaire mauritanien avec les standards internationaux

    Selon un rapport du Fonds Monétaire International (FMI) datant de 2015, le secteur bancaire mauritanien « est bien capitalisé et liquide, mais reste vulnérable face aux chocs.»

    En effet, certaines banques sont sous provisionnées. De ce fait, « la qualité des actifs restent faibles : au second trimestre de 2014, les prêts non productifs représentaient 20% de la masse globale des prêts. Le 31 décembre 2014, la Banque Centrale de Mauritanie (BCM) a révoqué les licences de la MAURISBANK (une banque sous capitalisée) et de FCI, une institution financière avec des fonds propres négatifs et peu d’activité de crédit ».

    Ce système comprend différentes composantes : banques classiques, banques islamiques et banques étrangères.

    Beaucoup de ces banques ne semblent pas s’inscrire dans la durée et n’ont pas une stratégie prospective.

    Il y a cependant quelques exceptions avec de grandes banques de la place comme la BNM et la BMCI. Cette dernière est la première du système bancaire en Mauritanie avec près de 120 000 clients (27% de part de marché) et une présence dans toutes les régions du pays.

    Pour Moktar Ould Zeine, juriste : « Le système bancaire mauritanien est très faible notamment en terme de couverture du territoire national. Si on regarde la cartographie des banques, on voit que la quasi-totalité des banques se trouvent à Nouakchott ou bien dans quelques capitales régionales. La question c’est, est-ce que les banques en Mauritanie servent à quelque chose en dehors de l’aspect domiciliation des salaires ? Est-ce qu’il y a des investissements ? Est-ce-que les banques sont un levier de l’économie. Ces questions il faut les poser aux spécialistes. »(Voir analyse ci dessous)

    Propositions pour éviter le crash du système bancaire mauritanien

    I-Alerte précoce  

    Déjà en  avril 2015, j’ai alerté l’opinion et les pouvoirs publics sur les risques probables de faillite du système bancaire, suite à la banqueroute de la Maurisbank. Cette alerte a été lancée à l’occasion d’une interview accordée à l’hebdomadaire Le Calame et parue dans son No 972 du 1er  Avril 2015.

    Dans cette interview, j’avais dit que « le risque de la chute d’autres banques à l’avenir est probable pour les raisons suivantes :

    1. Le capital de 6 milliards exigé pour ouvrir une banque est très faible pour couvrir tous les risques liés à l’activité bancaire (crédit, investissement,….).

    2. Il y a 16 banques qui se disputent un marché très étroit (moins de 5% de taux de bancarisation) dans lequel les déposants commencent à douter du système bancaire en général depuis la chute de la Maurisbank.

    3. Les principaux dépôts des banques sont des dépôts à vue qui sont par essence volatiles. En outre, ces dépôts sont très concentrés sur un petit nombre de déposants ce qui fragilise davantage les banques. Enfin, les crédits sont également concentrés sur une population restreinte de la clientèle, ce va à l’encontre du ratio de division des risques et constitue un élément centrale de fragilisation des banques

    Depuis lors la situation s’est aggravée à cause du phénomène d’illiquidité croissante des banques comme le reconnait un rapport récent de la Banque mondiale qui reconnait que «Les risques du secteur financier demeurent élevés, les banques commerciales faisant face au resserrement de la liquidité et à un cadre de supervision bancaire peu efficace.» (Voir Cadre de partenariat-Pays 2018-2023, Groupe de la Banque Mondiale, 13 Juin 2018, page 27).

    II- L’illiquidité des banques, à l’origine du risque accru de crash financier

    Aujourd’hui, 4 ans après la chute de la  Maurisbank, l’ensemble des banques connaissent des problèmes de liquidité accrus et risquent de s’acheminer  vers une situation similaire à celle de la NBM dont les problèmes de compensation ont obligé la BCM a remplacé son DG par un Comité de gestion. 

    Plusieurs raisons expliquent ce phénomène d’illiquidité :

    · La peur des déposants (syndrome de la Maurisbank) et celle des opérateurs économiques, liée à taxation lourde qu’ils subiront  s’ils affichent leurs fortunes dans les banques, sont autant de facteurs favorisants le resserrement de la liquidité  des banques.

    · La prolifération des banques durant cette dernière décennie a entraîné la dispersion des dépôts limitant leur progression aux niveaux des anciennes banques et créant de faibles dépôts dans les nouvelles. En outre, la majorité des dépôts de l’État qui constituaient une part considérable des dépôts des banques est allé au Trésor public ou à la CDD. Enfin, malgré la multiplicité des banques (au nombre de 20), le taux de bancarsisation n’arrive pas dépasser  les 10% (de 100 000 agents économiques dont la majorité sont en difficulté). Ce taux est faible par rapport aux pays comparables.

    · Le financement démesuré des sociétés et entreprises apparentées aux banques et qui ne respecte pas les ratios prudentielles. Ce qui dénote du laxisme de la supervision bancaire comme l’a confirmé le rapport précédemment cité de la Banque mondiale : « Les régimes prudentiels et cadre de surveillance actuellement en place,  qui sont insuffisants pour faire face aux faillites bancaires, seront également pris en compte dans le cadre du programme du FMI. ».

    · Le système ne joue pas son rôle de financement de l’économie car l’actionnariat est détenu par des groupes dont la priorité est leur propre autofinancement, ce qui explique que les ratios prudentiels limitant le financement des apparentés n’est pas respecté par la plupart des banques exposant ainsi l’ensemble du système à des risques inconsidérés, ce qui a déjà conduit à la faillite de la Maurisbank et plus récemment aux grandes difficultés de la NBM qui l’ont amené à être sous administration de la BCM.  

    Cette situation conduira inéluctablement à l’effondrement du système bancaire à moins que la banque centrale prenne ses responsabilités:

    III- Propositions pour éviter la faillite du système bancaire

    Afin d’éviter le risque de banqueroute systémique, la BCM doit jouer rapidement et pleinement son rôle de superviseur et de garant des déposants :

    1. La BCM doit immédiatement veiller au respect strict des ratios prudentielles par les banques notamment le ratio de division des risques et celui relatif au financement des actionnaires.

     2. Élever le niveau du capital minimum des banques à 12 milliards MRO afin de renforcer les fonds propres de celles-ci avec une dilution du capital. 

    3. Faire immédiatement un plan de sauvetage pour les banques actuellement en difficulté en favorisant les fusions entre les banques par exemple.

    4. Mener une campagne de communication sur sa stratégie visant à soutenir le système financier pour rassurer les déposants d’une part et augmenter le taux de bancarisation d’autre part.

    5. Veiller au respect de la règlementation relative à la professionnalisation des dirigeants des banques et de leur conseil d’administration.

    6. Exiger la formation continu du personnel des banques afin d’améliorer la qualité des prestations.

    7. Renforcer le mécanisme de surveillance des banques par des audits externes réguliers et  le  rôle des commissaires aux comptes.

    8. Enfin, l’Etat doit mettre en place une loi bancaire qui met de la cohérence dans le système bancaire national caractérisé par la dualité banques conventionnelles/banques islamiques.

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