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    Mauritanie : Le secteur de la restauration : un envol remarquable mais précaire
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    Pendant longtemps, pour le mauritanien lambda, la restauration a fait partie de ces activités à la périphérie de l’économie réelle, tellement la tradition était ancrée d’associer les honneurs et hommages culinaires presque exclusivement à l’activité ménagère des familles.

    Pourtant les caractéristiques que revêt désormais cette activité, et sa place de plus en plus importante dans le tertiaire  et dans la vie sociale, obligent à lui porter un tout autre regard.

    Les principales caractéristiques et tendances actuelles

    La restauration est en effet l’un des secteurs qui s’est développé le plus rapidement dans l’économie du pays ces toutes dernières années, aussi bien dans sa version traditionnelle que « moderne ».

    Le visage de Nouakchott est entrain d’être en partie modifié sinon bouleversé grâce à ce véritable phénomène polymorphe que représente le « restaurant » que l’on retrouve maintenant en toutes dimensions,  tous styles et dans tous les quartiers aussi bien huppés du centre de la capitale que  grouillants et populeux de la  périphérie.

    Finie l’image d’une capitale un peu morose  et peu vivante que la ville offrait jusqu’à récemment à ses habitants et  aux visiteurs étrangers adeptes de sorties.

    Désormais seul ou accompagné, on va au restaurant pour se détendre, changer d’air et rompre avec la routine culinaire d’antan avec un choix de plus en plus varié des lieux où se rendre pour déguster les menus les plus diversifiés possibles .

    Les restaurants donnent ainsi une réelle marque de modernité à la capitale.

    Mais que représente réellement ce secteur en plein boom ?

    On ne le sait pas toujours mais rares sont les activités économiques qui ont une dynamique aussi dense que la restauration. On peut en juger par les chiffres :

    Tout d’abord, Nouakchott pourrait compter pas moins de 800 restaurants tous genres confondus avec rien que pour Tevragh zeina  quelque 260 unités.

    En matière de main d’œuvre employée : au moins 8000 personnes devraient être concernées par cette activité et sont susceptibles d’être réparties parmi 18 corps de métiers effectifs ou en attente d’être formés.

    500 jeunes mauritaniens ont d’ores et déjà été formés et sont prêts à être versés dans une activité qui en redemande constamment et où la main d’œuvre étrangère est encore dominante.

    La restauration, ne l’oublions pas, occupe le haut d’une chaine de production et de livraison qui va des poissonniers, bouchers, boulangers en passant par les vendeurs de légumes, sans parler des quantités considérables de produits importés qui alimentent le quotidien  de cette activité dont le bout se termine par l’assiette du client dont la facture est au final quelque peu salée notamment en raison des difficultés de raccordement aux dits marchés et aussi de la multiplicité des diverses taxes que subissent tous ces producteurs en amont de la restauration.

    Les mauritaniens rechignent à travailler comme serveurs, plongeurs ou cuistots pour d’évidentes braisons psycho-sociales d’où la présence en nombre des étrangers, au statut incertain, taillables et corvéables à merci- et dont la patience s’explique en grande partie par le fait qu’ils sont pour la plupart en transit pour poursuivre leur route ailleurs.

    De plus, le secteur semble encore dans un tel état d’inorganisation que la précarité y règne en maître, avec des salaires trop disparates et en général trop bas et l’absence quasi-totale de garanties de quelque nature que ce soit ( pas de contrats ) sans parler bien évidemment des équipements adéquats qui font le plus souvent défaut et qui de ce fait posent  de sérieux problèmes de présentation et d’hygiène.

    Il faut souligner aussi les difficultés d’intégration de ce secteur marqué par de grandes distorsions entre les différents types de prestataires suivant qu’il s’agisse de la restauration dite moderne (ou encore internationale) ou de la restauration traditionnelle dont le succès va crescendo  dans la périphérie et qui attire du monde avec seulement tentes et nattes sur une dune …

    Force aussi est de constater que le secteur de la restauration attire non seulement de plus en plus les jeunes qui n’hésitent plus à y investir leur argent et leur talent pour donner corps peut être à leur rêve de modernisation ( le drive est déjà une réalité à Nouakchott !),mais aussi une clientèle de plus en plus nombreuse et diverse, allant   du jeune cadre dynamique du centre-ville, aux père et mère de famille qui n’hésitent plus à s’accompagner de leur progéniture pour gouter ensemble au plaisir d’un plat exotique.

    Des apports certains

    Tout cela nous amène à porter notre regard sur les apports déjà effectifs de cette restauration dans nombre de domaines aussi bien économiques, sociaux que culturels.

    Les apports économiques proprement dits sont évidents.

    C’est l’un des secteurs qui en lui-même, potentiellement, pourrait recruter avec le plus de facilité et massivement, non seulement les jeunes mais également les moins jeunes, en raison du fait qu’il n’ya pas encore une forte tradition de restauration formelle d’une part et d’autre part, parce que l’explosion démographique de la ville et les difficultés liées au transport dans  la véritable mégalopole que tend à devenir Nouakchott, interdisent désormais les bonnes vieilles habitudes du « manger chez soi » à midi à l’heure de pause.

    A cela s’ajoute la part de plus en plus importante que joue la restauration dans une certaine image culturelle quelle donne au cadre de vie à travers l’alimentation des mauritaniens ou de leurs amis étrangers. De plus en plus de touristes ou d’étrangers vivant à Nouakchott ont ainsi l’occasion de connaître et de savourer des mets exquis qu’ils n’auraient sans doute pas imaginé dans un pays souvent réduit à « l’image d’Epinal » d’un désert aride aux mœurs culinaires frugales….

    Fatou Niang, 43 ans est le propriétaire du restaurant Le Parisien situé a Tevragh Zeina. Elle a 12 ans d’expérience, en tant que  chef cuisine  à Paris.

    Le Restaurant Le Parisien a 5 ans et dispose de 40 employés.

    Le témoignage de Fatou est édifiant : « Je pars pour avoir de l’expérience mais c’est en Mauritanie que je vais m’enrichir.

    Plus généralement, ce qu’il y a lieu de retenir, c’est l’apport direct de la restauration dans la dynamisation d’un nombre considérable de domaines d’activités qui lui sont rattachés par la force des choses, de nombreux bouchers, pâtissiers, boulangers ,pécheurs, livreurs en tous genres, ne devant leur salut qu’à l’assurance de l’achat de leur production par  un secteur de restauration avide de produits frais et multiples.

    Mais il reste évidemment à voir comment ce secteur émergeant aux formidables potentialités de développement devra être davantage encadré et soutenu par tous ses acteurs et opérateurs afin de renforcer le processus très rapide en cours en l’orientant dans la bonne direction, à l’instar de ce que l’on voit dans la plupart des pays voisins.

    Les perspectives de développement

    Il est important de mettre en relief les enjeux que représente pour le pays ce secteur aux énormes potentialités de développement mais qui a encore beaucoup de mal à prendre son envol et à confirmer son émergence.

    L’un des enjeux importants est son apport en matière d’emplois. Il est nécessaire d’inciter encore plus les jeunes à connaître et à s’attacher au métier de restaurateur en mettant fin aux préjugés négatifs souvent très naïfs qui affectent leur perception des différentes fonctions qui peuvent y être exercées. Ce serait un dérivatif non négligeable à l’absence de perspective de trouver du travail pour nombre d’entre eux, y compris les malheureux  diplômés- chômeurs.

    Dans ce cadre, les efforts récents déployés tant par les principaux opérateurs économiques que par les autorités sont encourageants.

    Le dynamique Kahtan Lehaf, Président de la Fédération des restaurateurs, lui-même propriétaire de plusieurs restaurants de la place et dont l’expérience d’une trentaine d’années explique sans doute sa passion communicative pour ce secteur, nourrit l’espoir que les tous récents efforts  en vue de  la rénovation et du développement de ce secteur produiront rapidement les effets escomptés.

    Dans son esprit, les réformes profondes en cours ou envisagés devraient modifier l’écosystème de cette restauration chez nous.

    Ainsi, en amont, les activités de production qui alimentent cette restauration devraient être réajustés de fond en comble pour assurer des produits de qualité (poissons, viandes, ….) sans rupture dans les livraisons comme ce fut le cas pour les légumes tout récemment (crise de Gargarat). Pour lui, une réorganisation de cette chaine de production y compris par le recours à un mécanisme de mutualisation à travers des coopératives de producteurs nationaux donnera une plus grande garantie pour l’ensemble du secteur concerné. Sans parler des efforts de formation ciblée et de divers niveaux pour des recrutements massifs de nationaux, à consolider sur la base d’une communication dynamique à entreprendre  aussi bien par les opérateurs, les centres de formation que les pouvoirs publics, afin de mener à une véritable révolution des mentalités en la matière.

     Ce sera sans doute le gage pour la naissance d’une gastronomie proprement mauritanienne qu’attendent de leurs vœux tous les amateurs de bonne cuisine.

    Toutes ces réformes et bien d’autres sont la condition pour faire du secteur de la restauration l’un des facteurs de dynamisation du tourisme largement adossé à ce secteur et à celui de l’hôtellerie notamment.

    Par exemple l’idée d’une rénovation des bords de plage et de ses environs ne saurait être envisagée que dans la perspective d’un investissement massif en infrastructures et autres bâtisses dédiées aux loisirs et au cœur desquelles évidemment la restauration occupera une place de choix.

    Tout ce mouvement d’ensemble innovant aura sans doute un effet d’entraînement économique et financier bénéfique qui encouragera les investisseurs à s’intéresser à un domaine dont l’importance est stratégique pour l’économie nationale et dont la rentabilité pour chacun d’entre eux est évidente comme le montre de récents et retentissants exemples de réussites fulgurantes de jeunes entrepreneurs du secteur.

    NSS

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