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    Mauritanie : Refondation en vue du secteur des BTP
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    En Mauritanie le secteur des Bâtiments et Travaux Publics (BTP) est en plein essor et contribue plus ou moins à la croissance et à l’emploi. Mais le secteur fait face à certains obstacles structurels qui l’empêchent de jouer pleinement son rôle de vecteur de la croissance et de vivier pour la résorption du chômage.

    Importance économique du secteur

    Le secteur des Bâtiments et des Travaux Publics (BTP) regroupe l’ensemble des activités de construction et de rénovation des bâtiments (publics ou privés), de la promotion immobilière ainsi que des travaux de génie civil.

    Il va des entreprises spécialisées en traitement des matières premières comme l’aluminium ou le ciment, aux artisans comme les serruriers, menuisiers et plombiers.

    Ce secteur avec ses effets d’entraiment sur l’ensemble de l’économie contribue fortement à la croissance économique et à la création d’emplois en Mauritanie.

    En effet, la valeur ajoutée du secteur, évaluée à 9990 millions de MRU en 2018 représente environ 5% du produit intérieur brut (PIB) enregistrant une croissance annuelle moyenne de 1,8% au cours des cinq dernières années. Entre 2008 et 2018, la valeur ajoutée du secteur a plus que triplé. Cette dynamique du secteur des bâtiments et travaux publics résulte d’un ensemble de projets d’infrastructures (routes, ports et aéroports) mis en œuvre des dernières années.

    En termes de contribution à la création d’emplois, l’enquête nationale sur l’emploi et le secteur informel en Mauritanie de 2017, estime à environ 33 723 emplois du secteur des bâtiments et travaux publics correspondant à 4,6% de la population occupée. Selon les professionnels du secteur, les besoins du secteur des BTP en main d’œuvre qualifiée (ouvriers et techniciens) sur le marché local demeurent assez faiblement couverts.Le secteur des bâtiments et travaux publics reste dominé par les travailleurs étrangers représentant plus de 50% des emplois du secteur, généralement des cadres conceptions et des techniciens.

    On remarque généralement que les métiers faisant appel à la technicité ou qui exigent des qualifications comme les maçons, les techniciens, agents de maîtrise de bâtiments et travaux publics et les menuisiers sont généralement confiés aux travailleurs étrangers.

    Ainsi donc en Mauritanie on assiste depuis quelques années à une évolution notable de ce secteur avec entres autres l’arrivée sur le marché national  en 2016 du groupe mondial les Ciments Du Sahel (CDS) ainsi que l’entreprise française Vicat qui devient l’actionnaire majoritaire de BSA Ciment. Il faut également compter avec la société mauritano-française MAFCI. Toutes ces sociétés viennent s’ajouter à Ciment de Mauritanie, le leader national dans ce domaine.
    On assiste depuis le milieu des années 80 du siècle dernier, à un grand bouleversement dans le secteur des BTP, conséquence des réformes de libéralisation de l’économie nationale.

    Il y a eu la création d’agences d’exécution dont le principal objectif est de favoriser l’émergence des PME dans le secteur et de libéraliser le marché des travaux publics. Ce mouvement de création d’entreprise dans le secteur du BTP a été renforcé par les apports de financement et l’assouplissement des formalités administratives.

    Ce pari semble bien être gagné aujourd’hui car les PME se comptent par centaines et rien qu’au niveau de la Mutuelle des Petites et Moyennes Entreprises on en compte 102.

    Mais le secteur fait face à des problèmes de normalisation, de structuration et d’application des textes en vigueur ainsi que de leur révision pour mieux les adapter au contexte national.

    En effet beaucoup de groupements de tacherons exercent leurs activités dans des conditions peu orthodoxes.

    Concernant les grandes entreprises internationales du BTP peu d’entre elles possèdent une structure locale.

    En fait nombre de ces entreprises sont présentes dans des pays voisins comme le Sénégal. En revanche, elles interviennent ponctuellement sur les grands travaux d’infrastructures notamment les routes dans le cadre des appels d’offres internationaux. Toutefois, les entreprises chinoises sont de plus en plus présentes en Mauritanie et ont construit de nombreux ouvrages (Ports, stades, Palais divers, système d’assainissements…)

    Le non respect des procédures : Le diagnostic de la CEP

    Les manquements dans l’application des procédures en vigueur dans le secteur des BTP ont été mis en exergue par le dernier rapport d’Enquête de la Commission Parlementaire (CEP).

    Ce rapport énumère une pile de violations des dispositions légales et réglementaires. Les règles les plus mises à mal sont relatives à la passation et à l’exécution  des  marchés  publics.  Les  textes  les  plus  méconnus  par  les  autorités  en charge de les respecter sont les suivants : La loin°2010 044 du 22 juillet 2010 portant Code des Marchés Publics et ses textes d’application (et avec cette loi le décret 2002-08 du 12 février 2002 portant Code des Marchés Publics) ;

    Le décret 2011-180 du 7 Juillet  2011 portant application de certaines dispositions de la loi n°2010-044 du 22 Juillet 2010 portant Code des Marchés Publics ; Le  décret  n°2017-126  abrogeant  et  remplaçant  les  dispositions  des  décrets d’application de la loi 2010 044 du 22 juillet 2010  portant Code des Marchés Publics.

    L’essentiel des non conformités  relevées  concernent  le  stade  de  la  passation.  Cette situation ressort parfaitement de l’analyse détaillée de plusieurs marchés d’infrastructures pour lesquels l’Etat (agissant via différents Ministères) était le maître d’ouvrage.

    Cette situation ressort également des marchés et contrats conclus parla Société Nationale Industrielle   et   Minière   (SNIM),   par   la   Fondation   SNIM   ou   encore   par   la   Société Mauritanienne d’Electricité(SOMELEC).Dans  ces  cas  particuliers,  ces  entités  se  sont  dotées  historiquement  de  règles  internes dérogatoires  au  code  des  marchés  publics.  Ces  règles  spécifiques  sont très  contestables s’agissant de leur fondement textuel, celui-ci étant quasi-inexistant (seul un texte législatif peut  prévoir  une  dérogation  au  code  des marchés publics, mais aucun texte clair n’a été identifié en ce sens).Il a été relevé que ces règles d’achat propres à ces entités sont très élastiques et basiques (notamment  le  règlement interne d’achat applicable à la  SNIM  et,  par  ricochet, à la Fondation  que  la  SNIM  contrôle  et  les  règlements  des  commissions  de marchés de  la SOMELEC).

    Les cas de plusieurs marchés sont typiques des non conformités relevées. Sont également caractéristiques de ces pratiques irrégulières les contrats pour les travaux d’adduction d’eau potable au PK70, sur la route Nouakchott-Akjoujt et pour les travaux de pavage  de  la  Présidence  de  la  République et de l’avenue A. Nasser. C’est aussi le cas des marchés  SOMELEC,  réalisation  des  lignes  33  KV  Aleg-Boutilimit  et  Aleg-Sangrave,  la construction,  l’exploitation  et la  maintenance d’une  centrale éolienne  100  MW,  les marchés Kalpatru, SINOTEC-CSTSCC et Wartsila. Il  a été noté que  la  violation  des  règles de l’achat public a été aussi  accompagnée,  en parallèle,  par  une  application  irrégulière  des  règles  relatives à la  maîtrise d’ouvrage déléguée.  Les  textes  ainsi  violés  sont  la  loi  n°2005 -020  du  30  Janvier  2005  relative à la maîtrise d’ouvrage publique et aux conditions dans lesquelles elle peut être déléguée et le décret  n°2017-128  portant  application  de  certaines  dispositions  de  la  loi  2005-020  du  30 janvier 2005 relative à la maîtrise d’ouvrage Publique et aux conditions dans lesquelles elle peut être déléguée. Il  apparaît, en effet, qu’une pratique de recours aux conventions de délégation  de  la maîtrise d’ouvrage a été généralisée par l’Etat afin de confier in  fine et  hors  code  des marchés  publics  des  projets  relativement  importants à des  sociétés  publiques  et  privées (ENER, SNAT, ATTM, MTC, …). Ce schéma, peu contraignant et sans contrôle véritable par les  autorités  intervenant  en  matière  de  marchés  publics,  permettait  de  contourner  les règles  du  code  des marchés  publics  ;  il  a été utilisé comme «alternative »à l’application dudit code. Parmi les grands projets confiés à des sociétés publiques et privées par le biais de cette pratique, la CEP a cité le projet de construction de la route Atar-Tidjikja; le projet de construction de la route Atar-Zouerate; le projet d’extension du centre hospitalier «mère et enfants »à Nouakchott; les travaux de construction du barrage Seguelil dans la Wilaya d’Adrar; les travaux de construction de l’aéroport de Bir Oum Grein …

    Enfin, s’agissant encore des violations  du  code  des  marchés  publics,  il  a été possible d’observer le recours par l’Etat à des  contrats  peu  habituels  consistant à obtenir  des prestations de tiers en contrepartie de la cession de terrains. La Commission d’Enquête Parlementaire  relève  que  plusieurs  grands  projets  ont été lancés  sur  le  fondement  de  ce type de contrats, en particulier le projet du nouvel aéroport international de Nouakchott.

    Ce ne sont là que quelques exemples de cette violation du code des marchés publics. Il y a lieu également de souligner que la plupart des décideurs responsables des violations  relevées  ont  affirmé qu’ils  ont été instruits  par  l’ancien  président  de  la république.

    L’Etat s’est, en effet, livré à la conclusion de contrats, principalement dans le domaine des infrastructures et du foncier qui n’auraient jamais dû être passés sous une autre forme que les marchés publics ou, dans des cas plus rares, sous la forme de Partenariat Public Privé(PPP). Comme  cela  a été relevé en  particulier  dans  le  dossier «infrastructures »,  109  contrats d’infrastructures ont été recensés par la Commission d’Enquête  Parlementaire,  pour  un montant total de 430 milliards MRO. L’Etat ne pouvait ignorer l’ampleur des illégalités commises dès lors que plus de 89% des marchés ont été passés par entente directe :-les  contrats  représentant  44%  du  montant  total  ont été passés sous forme d’une délégation  de  maîtrise d’ouvrage -qui  en  plus  de  ne  pas être  un  outil  destiné à soustraire la transaction, au code des marchés publics est lui-même un marché public de  prestations  intellectuelles  soumis  audit  code -correspondant à une  procédure  de gré-à-gré;-les  marchés  représentant  45%  du  montant  total  ont été passés  via  la  procédure  de l’entente  directe  (aussi   appelée de gré-à-gré), à savoir   la   procédure   la   moins transparente prévue par le Code des Marchés Publics.

    La galère des PME

    Les Petites et Moyennes Entreprises ont un rôle important à jouer mais elles font face à certaines difficultés structurelles mais aussi à la difficulté d’obtention des marchés. Elles font face parfois à une concurrence déloyale de la part des grandes entreprises. En effet il y a des marchés de toutes les envergures mais parfois les PME sont concurrencées sur leur propre terrain par les grandes sociétés.

    Les critères exigés sont souvent impossibles à respecter. Par exemple pour gagner un marché de 50 millions, on leur demande une caution deux ou trois fois plus grande, ce qui dépasse de loin leurs capacités.

    La situation s’est compliquée depuis le déclenchement de l’épidémie de la Covid 19. Et contrairement à leurs homologues des pays voisins les PME n’ont pas encore bénéficié jusque-là des aides et des facilités requises de la part des pouvoirs publics. Une importante enveloppe leur serait destinée mais elle tarde à venir.

    Nécessité d’un changement de cap

    Comme cela a été mis en évidence par le rapport de la Commission d’Enquête Parlementaire le secteur des BTP a été profondément déstructuré par l’institutionnalisation du gré à gré. Ainsi, l’investissement public devient une source d’enrichissement des individus. Et les principales conséquences furent la mauvaise édification des ouvrages et une absence de création des emplois. De ce fait il n’y a pas eu d’acquisition de savoir-faire national, contrairement à ce qu’il y avait dans le passé quand le secteur des TP était très en avance dans le domaine du savoir-faire. Déjà, en 1968, les entreprises nationales ont construit les infrastructures de la ville d’Akjoujt, dans les années 1990 il y a eu aussi plein de réalisations ; comme dans les années 2000 avec le Palais des Congrès et autres.

    Mais aujourd’hui tout cela est tombé à l’eau ce qui fait que l’offre de services dépasse la demande. Il y a une désorganisation totale. La dynamique est faible. Par ailleurs, dans les appels d’offres internationaux il y a une condition discriminatoire qui exclue les entreprises nationales et tout cela se répercute sur la création des emplois.

    Aujourd’hui, avec le nouveau pouvoir du président Mohamed Ould El Ghazwani l’approche retenue dans ce domaine est totalement différente de ce qui a existé jusque-là.

    Il y a eu un amendement des textes sur les marchés publics qui privilégie le contenu local avec la priorité pour les entreprises nationales. C’est un pas important et une réforme beaucoup plus approfondie est en perspective.

    Donc ce qui fait l’importance de l’actuel plan de relance économique, c’est non pas l’importance de son enveloppe qui est de 240 milliards d’ouguiyas mais c’est son approche qui est tournée vers le développement inclusif national. Et, contrairement aux Plans d’Ajustements Structurels (PASS) c’est là une nouvelle approche qui rompt avec la philosophie ancienne.

    S’agissant des PME, elles sont également sur la bonne voie. Il y a cette nouvelle dynamique et le plan de relance qui leur accorde une très grande importance.

    Mais malgré les avantages susmentionnés il y a encore de grandes faiblesses qui peuvent remettre en cause toutes les politiques. Les deux faiblesses inquiétantes sont : la faiblesse des administrations qui est structurelle. Il y a le mauvais choix des hommes et une mentalité d’un autre âge : une incurie et une ignorance de l’esprit des textes ; une démarche improvisée qui s’explique par le fait que le mauritanien vit toujours dans l’urgence.

    La solution à ces problèmes pourrait résider dans la mobilisation de toutes les expertises nationales disponibles y compris celle des retraités qui doit être jumelée avec celle des fonctionnaires en activité.

    Un coup d’œil du côté du bilan de la SNIM pourrait donner à réfléchir. En effet, le 31 décembre 1974 la SNIM a fêté en grande pompe son record de production avec 12 millions de Tonnes. Et, ironie du sort, en 2020, soit 46 ans plus tard, la SNIM a réédité le même tapage avec un le même chiffre de 12 millions de T. L’échec comme on le voit est patent. En guise de comparaison, l’Iran a découvert une mine de fer en 1985 et en 2010, la production pointait déjà à 35 millions de Tonnes.

    En Mauritanie, l’incapacité dans le management est manifeste. Et du côté du secteur privé, la situation est encore pire. Là on est en plein dans l’informel. En général, il y a beaucoup de laxisme dans la gestion des marchés et dans la maîtrise d’ouvrage.

    Tous les espoirs résident présentement dans la bonne mise en œuvre de la nouvelle approche du gouvernement mauritanien dans le domaine des BTP.

    Bakari Guèye

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